Préserver les récifs coralliens du Triangle de Corail

Fin avril, l’équipe de Naturevolution, accompagnée de 6 écovolontaires et de ses partenaires locaux, s’est retrouvée au sud-est de l’île de Sulawesi, en Indonésie, pour poser les bases d’une stratégie de conservation pour la région. Après des actions sur la mise en place d’un système de gestion des déchets, nous poursuivons notre travail en nous intéressant aux récifs coralliens.

La baie de Matarape est parsemée d'îlots karstiques et de petites plages. Sulawesi, Indonésie.
La baie de Matarape est parsemée d’îlots karstiques et de petites plages. Sulawesi, Indonésie © Evrard Wendenbaum

Les récifs de Sulawesi

Installés maintenant depuis plusieurs jours dans la baie paradisiaque de Matarape, une vaste zone côtière constituée de dizaines de criques, d’îlots et de plages, encore largement vierge de présence humaine, nous nous attelons au deuxième volet de notre mission : évaluer l’état des récifs coralliens de la baie, identifier les menaces auxquels ils font face, et proposer des solutions pour les préserver sur le long terme.

Nous nous mettons à l’eau avec beaucoup d’excitation et aussi beaucoup d’attente : Sulawesi est située au cœur du Triangle de Corail, une zone considérée comme l’épicentre de la biodiversité de nos océans, avec notamment la plus grande diversité d’espèces de coraux au monde. La Mer de Banda, qui comprend la baie de Matarape, est la 2ème zone marine d’Indonésie (voire du monde entier !) la plus riche en terme de biodiversité.

Fonds sous-marin dans la baie de Matarape. Sulawesi, Indonésie.
Les fonds sous-marins de la baie de Matarape. Une des plus grandes diversité au monde d’espèces de coraux. Sulawesi, Indonésie © Evrard Wendenbaum

Le constat des menaces

Malheureusement, au-delà du réchauffement climatique et de l’acidification des océans, un éventail de menaces locales pèsent sur ce hotspot de la vie marine. Sur une bonne partie du littoral, les mines de nickel grignotent rapidement les forêts tropicales tout en déversant des torrents de sédiments asphyxiants les récifs côtiers (voir photos ici).

En parallèle, des techniques destructrices de pêche à la dynamite ou au cynanure de potassium sont encore utilisées, y compris au-dessus des récifs coralliens. Certaines espèces protégées, comme les bénitiers géants, les tortues de mer ou les raies mantas, sont encore pêchées, tandis que des bateaux de pêche de grande taille s’aventurent jusque dans les aires marines protégées. Quant aux bateaux qui accostent sur une île, ils jettent fréquemment l’ancre sur le récif, ce qui endommage, voire arrache, le corail.

Pour couronner le tout, les déchets plastiques, observés sur les plages, se retrouvent aussi au milieu des coraux, où ils peuvent être une source de maladies. Bref, cet éden marin est en danger et nous le constatons dès que nous mettons la tête sous l’eau : sur certains sites, de vastes récifs sont déjà abîmés, voire dévastés.

Coraux de la baie de Matarape. Sulawesi, Indonésie.
Le corail en haut à droite de l’image présente une partie blanchie, signe que les polypes qui y résident ont perdu leurs micro-algues – à cause d’un stress ou de températures trop élevées – avec lesquelles ils vivent en symbiose. Le corail est ainsi fragilisé et risque de mourir définitivement.

En regardant les récifs de plus prêt…

Beaucoup de coraux, notamment les colonies tabulaires et branchues présentent des parties blanchies, indiquant que les polypes y ont expulsé leurs algues zooxanthelles symbiotiques. Ces phénomènes de blanchiment, appelés bleaching en anglais (‘javellisation’) pour la blancheur immaculée du corail qui en résulte, sont causés par un réchauffement de l’eau supérieur à ce que le corail peut supporter. Sous les effets du réchauffement climatique, ils se multiplient de plus en plus. Si le blanchiment dure trop longtemps, les polypes du corail meurent à leur tour et le squelette corallien restant est progressivement colonisé par des algues d’une couleur brune-verdâtre dont les lambeaux s’agitent avec le courant. Le récif prend alors un aspect sinistre.

Quant aux poissons, leur diversité est relativement faible par rapport à d’autres spots de plongée réputés.

Mais ce qui crée peut-être le plus dégâts sur certains récifs est un animal avec lequel nous étions peu familier : les Acanthasters, ou étoiles de mer « couronnes d’épines » (Crown-of-thorns starfish). Avec plus d’une dizaine de bras et complètement hérissées de piquants venimeux, leur aspect ne donne pas envie de s’y frotter ! Elles se nourrissent de corail, et – pour des raisons qui restent à éclaircir – prolifèrent sur certains écosystèmes récifaux, et peuvent les détruire en quelques mois. Nous en avons retrouvé par dizaines sur le magnifique récif de l’île de Labengki, qui en était quasi dépourvu six mois plus tôt. Nous avons d’ailleurs mené dès fin 2018 une première mission dédiée aux Acanthasters.

Sur la photo de gauche, on aperçoit cinq acanthasters accrochées jusque dans les coraux branchus. A droite, une anémone avec ses ‘hôtes’, les poissons-clowns. Baie de Matarape, Sulawesi, Indonésie. © Philippe Mistral

Si nous restons heureusement émerveillés par certains récifs en parfaite santé et foisonnants de couleurs et de diversité, c’est avec un sentiment de tristesse que nous évoluons au-dessus de ceux qui présentent le plus de dégâts. Nous avons la chance de plonger parmi les récifs les plus riches de la planète, mais lorsque nous arrivons, nous constatons trop souvent qu’ils souffrent sévèrement des impacts de notre présence sur terre.

Mais rien n’est irréversible : il est possible d’agir, et sur plusieurs fronts.

En effet, les capacités de résilience du corail ainsi que la présence de nombreux récifs coralliens alentours encore en bonne santé dans la baie de Matarape permettent d’espérer la régénération des zones endommagées. Mais il est par ailleurs urgent de mettre en place des mesures de préservation pour stopper les dégradations.

Pour inverser la tendance, nous avons donc initié au cours de cette mission un certain nombre d’actions, tant avec les écovolontaires qui nous ont accompagné sur la mission qu’avec les populations locales, que nous souhaitons voir au cœur de nos actions. Pour cette première année d’actions de terrain, nous nous focalisons sur les activités suivantes :

  • Sensibilisation
  • Suivi-observation des récifs
  • Mise en place de mouillages
Sensibilisation à la protection de l'environnement au village de Labengki, Indonésie.
Présentation de sensibilisation à la protection de l’environnement au village de Labengki. Baie de Matarape, Sulawesi, Indonésie © Yann Bigant

Action #1 – Sensibilisation

Dans les villages de Mbokita, Labengki et Molawe, nous avons pu expliquer au cours de présentations devant la population et les autorités locales, l’importance de récifs coralliens en bonne santé, ainsi que les menaces locales qui pèsent directement sur ces écosystèmes et qui in fine compromettent le mode de vie traditionnel basé sur la pêche. On estime en effet qu’1km2 de récif en bonne santé peut produire une dizaine de tonnes de poissons par an.

Nous avons également fortement mis l’accent sur la gestion des déchets, tant lors de nos échanges et présentations, que par des actions collectives de ramassage de déchets. Ceux-ci peuvent non seulement affecter la vie marine (maladies du corail, ingestion par les animaux marins, etc.), mais également impacter le potentiel de développement écotouristique de la région. Pour plus d’infos sur nos actions autour des déchets, lisez notre article : Naturevolution s’attaque aux déchets plastiques en Indonésie.

Nos actions de sensibilisation se sont également traduites par la mise en place de panneaux sur les plages nettoyées, comme sur l’île de Sombori, la plage de Labengki, ou encore celle de Molawe, venant conseiller sur les bonnes pratiques à adopter pour la préservation de l’environnement.

Nettoyage collectif de la plage de Molawe. Matarape, Sulawesi, Indonésie.
Nettoyage collectif de la plage de Molawe. Matarape, Sulawesi, Indonésie © Yann Bigant

Action #2 – Suivi-observation des récifs coralliens

Nous avons effectué un suivi-observation des récifs en utilisant la méthode d’observation participative REEF-CHECK afin d’observer l’évolution de récifs spécifiques au fil des années. Cette méthode comprend 3 transects sur une même ligne de 100m, en relevant tour à tour la présence de certaines espèces de poissons, d’invertébrés, et des coraux, ainsi que l’état du fond marin. Les espèces à relever lors des transects ont été sélectionnées par REEF-CHECK d’une part parce qu’elles permettent d’évaluer l’état de santé du récif, et d’autre part parce qu’elles sont identifiables par des volontaires ayant reçu une formation rapide.

Cette formation de deux heures, dispensée un soir sur le campement, a donc permis à tout le monde d’avoir une bonne base de connaissances et d’effectuer les premiers transects le lendemain. Si la mise en pratique s’est avérée plus longue que prévue, les retours d’expérience nous permettront d’être plus opérationnels sur les prochaines missions.

Un écovolontaire effectue un suivi Reef-Check des coraux. Matarape, Sulawesi, Indonésie.
Un écovolontaire effectue un suivi Reef-Check des coraux. Matarape, Sulawesi, Indonésie © Philippe Mistral

Action #3 – Mise en place de mouillages

Nous avons installé des bouées d’amarrage près du littoral afin d’éviter que les bateaux de pêche ou de tourisme jettent leurs ancres sur les coraux. Celles-ci consistent en un bloc de béton posé sur un fond sableux et relié à une bouée en surface à laquelle les bateaux peuvent s’amarrer. Ces premiers tests – 3 mouillages ont été posés sur l’île de Labengki – ont suscité un vif intérêt de la part des villageois les plus proches.

___

L’ensemble de ces actions ont été poursuivies à l’été 2018 pendant 6 semaines, puis tout au long de l’année 2019. Les activités ont été progressivement adaptées au fur et à mesure que notre connaissance du terrain progressait.

Si vous souhaitez nous rejoindre pour y participer, contribuer à la protection de ce petit paradis, tout en passant un très bon moment, retrouvez toutes les informations sur cette page : missions d’écovolontariat en Indonésie.

Installation de mouillages sur bouées pour la protection des récifs coralliens. Matarape, Sulawesi, Indonésie.
Installation de mouillages sur bouées pour la protection des récifs coralliens. Sulawesi, Indonésie © Yann Bigant

___

Merci à Yann-Erik, Philippe, Mélanie, Sabrina, Géraldine et Ugo, écovolontaires présents sur cette mission du printemps. Tout ceux qui participent à nos missions écovolontaires – c’est à dire peut-être vous ! – rendent possibles, tant physiquement que financièrement, nos actions de conservation pour la préservation des karsts du Konawe.

Continuer la lecture vers le 3ème et dernier article de cette mission : Matarombeo, ou la jungle dans toute sa splendeur.

Suivi Reef Check des récifs coralliens. Baie de Matarape, Sulawesi, Indonésie.
Suivi Reef Check des récifs coralliens. Baie de Matarape, Sulawesi, Indonésie © Evrard Wendenbaum

Poursuivez votre lecture

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

trois × quatre =